L’humeur joyeuse et vagabonde, j’engageais mon vieux bus Volkswagen sur le Golden Gate Bridge, le pont majestueux qui enjambe la Baie de San Francisco, et mettais le cap au nord sur la Highway 1, en longeant le Pacifique.
Objectif : aller le plus loin possible, jusqu’à ce que le froid me commande de faire demi-tour. J’étais déterminé à emmener ma guimbarde jaune et bruyante jusqu’en Alaska, mais je savais que mon départ tardif en août compromettait sûrement mes chances…
Plusieurs jours sans croiser personne
Il y eut d’abord la côte Pacifique, qui s’étire indéfiniment en une fresque grandiose : les plages magnifiques, les rochers qui s’y nichent, géants impassibles, et les villages de pêcheurs aux murs de bois peints et aux longs pontons qui s’avancent et défient les eaux. Puis, vint la découverte dans les terres des montagnes sublimes, témoignant de la majesté de la grande chaîne des Cascades, et, plus à l’Est encore, les hauts déserts perchés aux confins des Rocheuses.
Début octobre, je passais la frontière et arrivais au Canada où je découvrais la sublime île de Vancouver et ses alentours, avant d’aborder les premiers cols de la chaîne des Coastal Mountains.
” Si vous pensez que l’aventure est dangereuse, essayez la routine… Elle est mortelle ! “
Après, l’on s’engage assez brutalement dans les terres infinies du Nord Américain. Celles habitées par le silence, la Nature à l’état sauvage. Sur des milliers de kilomètres, elles s’étirent à travers d’immenses régions aux mille légendes : la Colombie Britannique, le Yukon et, plus loin encore, l’Alaska. Je ne visais que l’extrémité sud de cette dernière, mais plus de 1000 kilomètres m’en séparaient encore. Plus je me dirigeais vers le nord, moins je croisais de monde. Pour la première fois, j’éprouvais quelque chose de fort, de nouveau et bien plus grand que moi : la solitude. Et à mesure que celle-ci s’installait, la température chutait chaque jour davantage.
Je m’y étais préparé, à cette solitude – ou plutôt, j’étais curieux de voir comment j’y réagirais, et où m’amèneraient mes pensées après plusieurs jours passés sans croiser une âme qui vive. Quand ma seule compagnie serait les cimes enneigées et le givre sur les routes. Une citation de Paulo Coelho guidait mes pas : ” Si vous pensez que l’aventure est dangereuse, essayez la routine… Elle est mortelle ! ”
Pas de chauffage, mais une bouillotte et un réchaud portable
J’étais sans doute moins préparé aux basses températures, qui ne tardèrent pas à chuter en-dessous de zéro la nuit. Je n’étais pas insouciant pour autant : j’avais simplement prévu de précéder les premières neiges, et si je n’avais pas de chauffage dans le bus, j’étais tout de même équipé d’un réchaud portable au propane, une bouillotte, et de mon matériel de camping – un sac de couchage grand froid, et un sac à viande.
J’avais néanmoins pris du retard, et le froid intense s’était résolument installé, tenace et mordant. Plusieurs fois même, les premières neiges m’ont rattrapé, et je me réveillais sous un manteau blanc. Le réchaud à propane ne pouvait être laissé en continu : une bouteille de gaz n’aurait pas tenu la nuit, et je n’aurais pas survécu au gaz nocif que cela émet ! Mais il me permettait de réchauffer régulièrement l’habitacle dans la journée. La nuit, les températures atteignirent -18°C plusieurs fois, et je m’habituais à devoir faire fondre mon eau gelée tous les matins.
Cela dit, je ne rebroussais jamais chemin. Je parvins même à atteindre mon objectif à la fin du mois d’octobre, l’Alaska ! J’y fis demi-tour, face au majestueux Salmon Glacier. Je n’étais pas peu fier, et le froid enduré avait contribué à façonner ce sentiment de petite victoire, partagée avec mon Transporter de plus de 30 ans.
Je passais beaucoup de temps à lire et à cuisiner
Petit à petit s’était installée une routine qui était loin d’être désagréable, et qui se mariait très bien avec mon envie de m’exposer à un certain inconfort psychologique et matériel. Dès la nuit tombée, je me réfugiais dans le bus. Je passais beaucoup de temps à lire comme à cuisiner – cela réchauffait l’esprit, et l’habitacle ! – et je me régalais de recettes d’hiver en tous genres – fondues, gratins, soupes et j’en passe. Mon rituel pour la nuit consistait à me faire un thé, et à utiliser le reste de l’eau pour remplir ma bouillotte avant de me glisser dans mon sac de couchage, sous la couette. Je n’ai jamais souffert du froid pendant la nuit. Lire aussi : Ma vie en van : La cuisine au quotidien
Le matin, je préparais mon thé et mon porridge depuis le lit avant d’en sortir, le feu contribuant à réchauffer assez rapidement mon petit habitacle. Je faisais ensuite fondre de la neige pour refaire mon niveau d’eau. Une fois ces rituels accomplis, j’étais suffisamment réchauffé pour pouvoir sortir et enlever la neige du véhicule, s’il avait neigé.
Je garderai toujours un souvenir très particulier de ce mois passé dans le grand froid. En m’exposant à ma propre résilience, j’ai le sentiment d’avoir appris à mieux me connaître. Il y eut des moments plus difficiles que d’autres, mais dans l’ensemble j’ai apprécié chaque minute de ce voyage pas comme les autres. Sans compter les paysages pré-hivernaux, sublimes et méditatifs, que j’ai souvent eu la chance de n’avoir que pour moi-même.
Je surveillais Jozette afin qu’elle ne chauffe pas trop
Malgré les conditions climatiques extrêmes, ma brave Jozette (ainsi se nomme ma maison sur roues) n’aura aucunement souffert du froid. Au contraire, -ironie du sort- une fuite du liquide de refroidissement m’obligea à surveiller qu’elle ne chauffe pas trop…
Évidemment, cette expérience m’a convaincu qu’un chauffage ne serait pas une vaine dépense. Dès mon retour en Oregon, j’en acquis un et l’installais sans trop de peine en quelques heures. Sur la route du sud, j’atteignis d’abord la Californie puis le Mexique, où je troquais bien vite ma bouillotte contre un maillot de bain. En fait, je crois n’avoir utilisé mon nouveau chauffage qu’une petite dizaine de fois, mais il me suffit à rallumer mes rêveries de voyage dans le grand froid !
Voir aussi : Ma vie en van : grand froid et mauvais temps
Ben (Benjamin) voyage à temps plein depuis deux ans à bord de ses deux Volkswagen T3, l’un en Amérique du nord et l’autre en Europe. Il s’apprête à reprendre son voyage qui l’a déjà conduit de l’Alaska au Mexique avant d’être mis en pause par l’épidémie du Covid. Vous pouvez prolonger l’aventure et le suivre sur plusieurs supports :
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